« Stratégies » met à l’honneur Emeric Lebreton, auteur de « Robot Révolution »

Entretien par Cécilia DI QUINZIO

attachée de presse guilaine_depis@yahoo.com

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Emeric Lebreton, docteur en psychologie, chercheur en sciences humaines et spécialiste des questions emploi et formation, bouscule les idées reçues sur l’impact de l’automatisation sur le secteur tertiaire dans son dernier ouvrage « Robot Révolution : les robots vont-ils détruire nos emplois et notre économie ? »

Quelle est votre définition du robot à l’usage de l’emploi ?

Pour moi, un robot est un terme générique qui regroupe tout système automatisé capable de réaliser une tâche de manière autonome (pas forcément de façon intelligente d’ailleurs) : chatbots, logiciels de rédaction, marketing programmatique… Derrière ce terme se cache en réalité une multitude d’outils différents, loin de l’image du robot humanoïde qui imiterait l’homme.

Quels sont les métiers les plus touchés par la révolution robotique ?

Absolument tous les métiers sont découpables en séquences qui peuvent se confier à une machine. Chacun croit que son métier est à l’abri… Puis du jour au lendemain, une innovation de rupture peut venir ébranler totalement son activité. Même le secteur tertiaire est désormais touché par la robotisation : les avocats, les journalistes, les professeurs ou encore les médecins. La médecine est, du reste, la prochaine grande profession qui va s’automatiser. C’est un corps de métier qui coûte cher, qui connaît des manques de personnel… On aurait tort de penser que les fonctions qui impliquent des relations humaines sont exemptes de cette révolution. Pour moi, seules les interactions créatives restent aujourd’hui hors de portée des robots, c’est-à-dire qui ne se limitent pas à un jeu de questions-réponses.

Votre ouvrage dresse un constat assez paradoxal : les employés les mieux rémunérés sont ceux qui ont le plus de chances de voir leurs emplois remplacés par des robots…

 La perception la plus répandue demeure que les robots détruisent plutôt des emplois faiblement qualifiés. Or, si l’on raisonne à partir de facteurs économiques, on s’aperçoit que les entreprises ont plutôt intérêt – et sont encouragées – à supprimer des emplois dont la rémunération est plus forte. Les robots ne se limitent plus aux secteurs agricole et industriel mais investissent désormais tous les secteurs (finance, ressources humaines, management, commerce, etc.). Avec le développement de l’intelligence artificielle, ils sont présents à tous les niveaux de responsabilité, jusque dans les conseils d’administration. Et les humains se retrouvent à gérer des tâches beaucoup plus simples. Ce changement de paradigme est bien réel et déjà à l’œuvre.

Comment le secteur du marketing et de la communication est-il impacté ?

C’est un secteur qui est frappé de plein fouet par la robotisation. L’achat publicitaire est de plus en plus confié à des algorithmes ; la création de contenus, de vidéos, de sites web, d’appli, s’automatise… Si au départ, l’avènement du marketing digital a été synonyme de création d’emplois, on observe dans le même temps un phénomène de compression du personnel. On sent que le secteur est bousculé, précarisé, par la transformation des métiers, notamment en agences. Même les créatifs sont challengés par l’automatisation. La narration, le storytelling, semblent encore préservés des robots, et pourtant, même cette spécialité doit pouvoir être découpée en une série de séquences… On peut tout à fait envisager un logiciel dans lequel on rentrerait les objectifs d’une campagne, le produit, la cible, le budget, et en fonction des tendances, l’intelligence artificielle créerait des histoires. Ce qui raccourcirait le processus de créativité. Pour autant, il est plus juste d’imaginer la disparition d’une ou plusieurs parties de l’activité des publicitaires, plutôt que l’extinction intégrale de la profession.

Comment lutter contre « l’illettrisme digital » que vous évoquez dans l’ouvrage ?

La clé principale est d’acquérir en permanence de nouvelles compétences. Il n’est plus possible, comme autrefois, de se former tous les trois ou quatre ans. Aujourd’hui, la formation doit être continue. Il s’agit d’engranger constamment de nouveaux savoir-faire, de nouvelles connaissances, pour non seulement s’adapter aux changements technologiques incessants, mais aussi pour se démarquer et rester attractif sur le marché de l’emploi. Un attaché de presse, par exemple, aura tout intérêt à gérer sa base de données, la rédaction et l’envoi de ses mails de manière automatisée… Une occasion de gagner du temps et de sortir du lot par la maîtrise d’outils innovants. Dans le secteur du marketing, il est plutôt admis que posséder des aptitudes dans le domaine numérique est incontournable. Mais dans d’autres secteurs, cela est beaucoup moins ancré. Nombreux sont les experts comptables par exemple qui n’ont aucune connaissance des systèmes automatisés… J’ajoute qu’un fossé important se creuse entre les grandes métropoles et les villes de taille moyenne. À Paris, Berlin ou Londres, tout ce qui concerne la mobilité, la restauration ou encore le logement passe par les applications. Les habitants y sont obligés d’être connectés en permanence, de savoir comment naviguer en ligne, de trouver les informations au travers des interfaces numériques, etc. Préparer au mieux la société à cette révolution passera par l’école, où l’enseignement au digital et aux nouvelles technologies est encore très succinct en France.

Êtes-vous plutôt pessimiste ou optimiste ?

Sur le constat, je suis assez pessimiste. Je vois que la robotisation va détruire énormément d’emplois, bien plus qu’elle ne va en créer. Je pense aussi que cette révolution attaque frontalement la classe moyenne: tous les niveaux intermédiaires de compétences sont menacés. Mais paradoxalement je demeure plutôt optimiste. Comme pour tout changement, il représente aussi des opportunités, pour celui qui saura en tirer parti. Et qui saura se doter de nouvelles compétences pour se démarquer et réussir.

Robot Révolution : les robots vont-ils détruire nos emplois et notre économie ?  est paru aux éditions Babelio, février 2019.

 
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