Pierre Ménat réagit à La Tribune du Président Macron « Pour une renaissance européenne »

CV de Pierre Ménat, ancien conseiller aux affaires européennes de deux Présidents de la République lien : https://guilaine-depis.com/7348-2/

Nouveau livre de Pierre Ménat « France cherche Europe désespérément », lien : https://guilaine-depis.com/quatrieme-de-couverture-de-france-cherche-europe-desesperement-de-pierre-senat-parution-11-03-19/

Pierre Ménat, diplomate de carrière, a suivi de l’intérieur la marche de l’Europe pendant plus de trente ans. Conseiller de deux ministres des Affaires étrangères (Jean-Bernard Raimond et Alain Juppé), puis conseiller du président Chirac pour l’Europe, deux fois directeur des Affaires européennes au Quai d’Orsay, il a également servi comme ambassadeur de France en Roumanie, Pologne et aux Pays-Bas.

« France cherche Europe désespérément »…Pierre Ménat

C’est avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance de la tribune du président de la République intitulée « Pour une renaissance européenne ». Pendant plus de quarante ans, en tant que diplomate, j’ai été soumis à l’obligation de réserve. J’en suis aujourd’hui délié et comme tout citoyen, suis libre d’exprimer mes idées.

Le texte d’Emmanuel Macron part d’une analyse lucide de la situation : l’Europe n’a jamais été aussi nécessaire, mais jamais autant en danger. L’ambition du président est à la hauteur des circonstances. Les points-clés sont bien identifiés, comme ils l’avaient été lors du discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017. Nul ne peut contester les trois chapitres : liberté, protection et progrès.

Sous la première rubrique, la tribune aborde habilement un problème qui pourrait être consensuel : celui des manipulations cybernétiques qui affectent nos processus électoraux. Mais selon une habitude française, tout doit déboucher sur la création d’une structure. En l’espèce, il s’agirait d’une agence européenne de protection des démocraties. Il n’est pas certain que cette idée suscite l’enthousiasme.

Au titre de la protection, trois sujets pertinents sont abordés. D’abord, Schengen. Comme dans le discours de la Sorbonne, le chef de l’État fixe des objectifs déjà énoncés. Plus modestement, je propose1 d’appliquer enfin les décisions prises en matière d’asile et d’immigration notamment.

Ensuite, la défense. Je souscris pleinement à la création d’un Conseil de Sécurité européen, auquel le Royaume-Uni pourrait être associé. Mais il faut que, dès le départ, les intentions soient claires et que les États intéressés adhèrent à une politique étrangère et de défense indépendante, selon le modèle du Plan Fouchet présenté par le Général de Gaulle en 1961. Je suggère à cette fin une solution qui peut fonctionner, tant sur les plans politique que juridique.

Troisième sujet, la juste concurrence. Pour y parvenir, les pétitions de principe risquent de rester lettre morte. Airbus et Arianespace ont réussi parce que ces projets ont impliqué un nombre élevé d’États. La fusion Alstom-Siemens a échoué car ceux qui en étaient exclus l’ont combattue. Lorsqu’elle est assez forte pour s’imposer, la réalité industrielle peut prévaloir sur l’application des règles de concurrence.

Enfin, le progrès. Pour le climat et l’énergie, mettons en œuvre les décisions adoptées par le Conseil et le Parlement européen en 2014, puis 2018. S’agissant du bouclier social, chacun de nos présidents l’a proposé avec ses mots : l’espace social européen en 1981, le modèle social européen en 1996, l’Europe qui protège en 2008, la convergence sociale en 2012.

Si la France se répète, c’est que la difficulté demeure. Du modèle social français, sans doute l’un des plus élaborés au monde, nos partenaires se sont éloignés plus que rapprochés. À protection, ils répondent flexibilité. Au bouclier, ils préfèrent l’épée. Pourquoi cette incompréhension ?

Pour des raisons différentes selon les pays. Ceux du Nord et d’abord l’Allemagne ont estimé que la mondialisation exigeait des réformes d’inspiration « libérale », même si cet adjectif est souvent galvaudé. Ceux du Sud ont été confrontés au poids de la dette et ont eu recours à des solutions empiriques. Enfin, la plupart des nouveaux États membres sont passés brutalement du collectivisme à l’économie de marché, sans filet de sécurité. En Roumanie, où le salaire moyen est inférieur à 400 euros par mois, la notion de bouclier social risque d’être incomprise.

Pensez-vous que l’on peut concilier deux mots qui apparemment s’opposent, Europe et réalité ?  C’est mon cas, et c’est ce que j’ai voulu démontrer dans le livre France cherche Europe désespérément.

 

1. France cherche Europe désespérément, Editions Pepper – L’Harmattan, 2019.

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